Par Sylvain Besson
La livraison de sous-marins français au Pakistan a donné lieu à des versements suspects, orchestrés depuis Genève. Les protagonistes de l’affaire gardent le silence. « Ce qui se dit, c’est que Sarkozy a toutes les chances d’être réélu en 2012, sauf si ce dossier explose. »
Sarkozy, au centre de l’affaire de « l’attentat de Karachi »
Cette petite phrase d’un connaisseur de l’affaire donne une idée de l’intérêt que suscite, en France, un volet oublié de l’enquête genevoise sur les pots-de-vin destinés aux dirigeants du Pakistan. Cette procédure a été classée l’an dernier à la demande du principal mis en cause, Asif Ali Zardari, le veuf de Benazir Bhutto, devenu président pakistanais. Mais elle a permis de découvrir un ensemble de versements suspects, partant de comptes suisses et de sociétés liechtensteinoises vers des bénéficiaires finaux en France et en Espagne. L’ordre de grandeur de ces flux serait d’une douzaine de millions de francs.
Contrats d’armement
A qui était destiné cet argent ? Selon un enquêteur, les fonds ont été « vraisemblablement » versés en liaison avec des contrats d’armement, notamment la livraison de sous-marins français au Pakistan au début des années 1990. Cet aspect a fait l’objet d’une « analyse assez poussée » et de perquisitions bancaires en Suisse, mais la France n’aurait « pas montré beaucoup d’enthousiasme » pour clarifier, à l’époque, cette partie du dossier.
A Genève, un homme devrait en savoir plus : l’avocat Hans-Ulrich Ming qui, selon un connaisseur de l’affaire, est « apparu comme signataire de comptes ». L’avocat dit tout ignorer du versement de commissions vers la France et, arguant du secret professionnel, se refuse à d’autres commentaires.
Autre nom, apparu sur un contrat de « consultant » publié par le site bakchich.info, celui de Ziad Takieddine, un Libanais parfois présenté comme très riche et bien introduit dans les milieux politiques français. « Je ne suis ni important ni riche, rétorque-t-il. Me Ming, je le connais un peu, je l’ai rencontré une fois. Mais je n’ai fait l’objet d’aucune investigation en Suisse, je n’ai rien à faire dans cette affaire. »
Il dénonce les « affabulations » et les « fabrications » des médias qui l’ont présenté comme l’intermédiaire décisif dans la vente des sous-marins. Avant de préciser – curieusement pour quelqu’un qui dit tout en ignorer – que cette transaction a dû se faire « dans l’intérêt des Etats ».
Une enquête sur des pots-de-vin pourrait menacer Sarkozy
Il est vrai que les rumeurs qui entourent le dossier incitent à la prudence. Il est notamment question d’un coffre renfermant des documents explosifs, au Luxembourg ou en Suisse, où figurerait le nom de Nicolas Sarkozy. Il était ministre du Budget à l’époque du contrat et chargé, à ce titre, d’approuver les commissions versées en marge des contrats d’armement.
Après sa victoire à la présidentielle de 1995, Jacques Chirac avait interrompu les versements liés aux sous-marins, qu’il soupçonnait d’alimenter les réseaux de son rival Edouard Balladur, mentor de Nicolas Sarkozy.
Attentat de Karachi
Cette dimension politique – qui reste mal documentée – explique l’excitation des médias français pour le sujet. Deux livres et une émission de Canal + sont en préparation, pour explorer d’hypothétiques connexions entre la vente des sous-marins et l’attentat qui a coûté la vie à 11 ingénieurs venus les assembler, en 2002 à Karachi. Mercredi, la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, a annoncé que les documents confidentiels réclamés par les juges chargés du dossier avaient été déclassifiés, une promesse faite par Nicolas Sarkozy l’été dernier.
L’enquête ouverte en France s’intéresse aussi à l’aspect financier du contrat. Et sur ce point, les enquêteurs suisses sont formels : « Il y a, dans notre dossier, beaucoup de réponses aux questions que se posent les Français. »
Sylvain Besson, Le Temps (Suisse)